mardi 7 juin 2016

Un couple de vouvrillons a-t-il été victime d'une voiture folle ?

Patrice et Elsa se souviendront longtemps de cette soirée du mois de février. Revenant du Tréport, et prenant la direction de Fondettes, à bord de leur Citroën C4 Picasso, ils arrivent au péage de l'autoroute A 28 à Neuillé-Pont Pierre, en Indre-et-Loire.

Il est 19 h 15 et Patrice se trouve alors au volant. Il arrive à une centaine de mètres d'un rond-point. Problème : il a relevé le pied de l'accélérateur, mais la vitesse n'a pas diminué. Le véhicule roule à 70 km/h. Le conducteur essaie alors de freiner. Mais, le frein ne répond pas. Il pompe sur la pédale, sans succès. La pédale de frein s'enfonce, sans résistance et sans effet.

Le rond-point se rapproche et Patrice doit prendre une décision. De crainte de perdre le contrôle de la C4 Picasso en tournant le volant, il choisit d'aller tout droit, pensant que la voiture va ralentir en franchissant le terre-plein central. Le véhicule heurte une bordure en béton, puis des rigoles. Aucun impact sur la vitesse qui reste constante.

Patrice aperçoit alors un talus, sans savoir encore qu'il y a un dénivelé de plusieurs mètres. Sa compagne Elsa témoigne que, pendant ces quelques secondes, il essaie désespérément de freiner, puis de tourner. Autre problème : la direction ne répond plus. Le conducteur essaie alors de débrayer (la pédale s'enfonce, mais elle est molle), sans pouvoir pour autant changer de rapport.

La manoeuvre va se finir par un vol plané et une série de trois tonneaux en contrebas. Par miracle, ce couple de vouvrillons s'en tire avec plus de peur que de mal : rien pour Elsa et quelques ecchymoses pour Patrice, dont la main s'est retrouvée à un moment coincée sous la voiture. Heureusement, un témoin a pu aider à la soulever. Résultat : une hospitalisation à Trousseau et une amnésie pour Patrice, qui n'a aucun souvenir du déclenchement des airbags.
Le lendemain, la NR évoque un conducteur qui a perdu le contrôle de son véhicule dans un rond-point. Un fait divers comme on peut en lire chaque week-end.

Mais, pour nos deux vouvrillons, il s'est passé quelque chose d'anormal. Je les ai rencontrés par l'intermédiaire d'un ami commun, qui leur avait parlé de moi. J'ai pris la peine d'écouter leur témoignage.

Ce que j'ai compris, c'est qu'ils ont le sentiment de ne pas avoir été crus quand ils ont évoqué leur histoire. L'expert de l'assurance n'a pas donné le sentiment de prendre en compte le récit de Patrice. Il a certes constaté que le système de freinage ne fonctionnait pas. Mais, il a estimé que cela était peut-être la conséquence de l'accident, pas forcément la cause première. Patrice et Elsa ont demandé à ce qu'un deuxième expert se penche sur le dossier. Pas plus de succès. Le rapport, très laconique, conclut qu'il n'y a pas lieu d'investiguer sur le système de freinage.

Le couple a été dédommagé par son assureur, la GMF. Néanmoins, il estime qu'il y a plusieurs zones d'ombre.

Lors de notre rencontre, Elsa m'a fait part de plusieurs bugs liés à l'électronique de la voiture. Je me suis fait confirmer ce point par un collègue du magazine Auto Moto, Nicolas Briouze. Ce spécialiste de l'occasion, qui suit la fiabilité des véhicules, m'a en effet parlé de problèmes de ce type répertoriés sur ce modèle. Mais, en revanche, rien de spécial côté mécanique.

Précisons que le garage de Fondettes, où a été acheté et entretenu ce véhicule, et qui a en effet accueilli plusieurs fois la C4 Picasso, pour une remise à niveau de l'électronique, ne croit pas à la thèse d'une panne qui aurait à la fois affecté le freinage, la direction et l'embrayage. "C'est impossible", leur a dit le chef d'atelier, qui répare des Citroën depuis 40 ans.

Je me suis aussi entretenu avec un expert, Sylvain Girault, qui fait partie de l'ANEA (Alliance Nationale des Experts Automobiles), et avec qui j'ai fait plusieurs conférences. Il m'a dit que les quelques cas de "voiture folle" qui peuvent se produire sont pris très au sérieux. Et il en est de même chez les assureurs. Il est vrai que des problèmes de fiabilité peuvent apparaître après coup, les constructeurs automobiles ayant la contrainte de sortir toujours plus vite de nouveaux modèles.

La GMF n'avait aucune raison de vouloir étouffer l'affaire, m'a-t-il expliqué, car elle aurait pu se retourner vers le réparateur ou le constructeur. Précisons aussi que l'examen des calculateurs permet de "faire parler" le véhicule.

Bien sûr, on peut aussi tomber sur un expert négligent, inexpérimenté ou incompétent. Mais, le fait qu'il y ait eu deux experts sur le coup réfute a priori cette thèse. Selon Sylvain Girault, il y a sans doute eu un examen technique. Lequel a permis de déterminer si le système de freinage était vraiment défaillant (en raison d'une fuite ou d'un problème mécanique). Lui aussi estime peu probable que plusieurs éléments, sans rapport entre eux, aient pu tomber simultanément en panne. Ce serait vraiment la faute à pas de chance.

La conclusion à laquelle Nicolas, Sylvain et moi sommes arrivés, est que le régulateur de vitesse a pu se réactiver après la sortie du péage, et sans doute de façon involontaire (par une pression au volant, par exemple). "J'ai eu le sentiment que le régulateur était activé", m'a affirmé Elsa. Mais, quand bien même ce serait le cas, le simple fait d'effleurer la pédale de frein ou même l'accélérateur suffit pour le désactiver. Alors, Patrice a-t-il enfoncé la pédale d'embrayage en croyant freiner ? C'est une erreur que font souvent ceux qui utilisent le régulateur de vitesse, au moment de freiner en urgence.

Pour information, en cas de perte de l'assistance, la pédale de frein devient dure mais elle fonctionne encore. Tout l'inverse de ce qui s'est a priori produit.

Peut-être que le couple n'a eu, tout simplement, pas de chance. Pourtant, ce véhicule affichant 110 000 km au compteur et qui avait été acheté par les parents d'Elsa, avait été semble-t-il bien entretenu par son ancien propriétaire. D'autre part, Patrice n'avait jamais eu d'accident en 45 ans de permis. Il est de plus décrit par sa compagne comme quelqu'un de calme. Mais, tout s'est passé très vite et il n'a pas eu le réflexe de couper le contact ou d'activer le frein de parking (qui est électrique sur ce modèle).

Le fait qu'il est aujourd'hui traumatisé par cette expérience. Il n'a pas retouché à un volant depuis cet accident. Quant à Elsa, qui a découvert le charme au quotidien des transports en commun, elle attend le véhicule qu'elle a commandé : une Dacia Logan avec beaucoup moins d'électronique.

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